13.2.16

A ton étoile, à mon bébé

Crédits photos " a little market"



Mon cher bébé,

Ton père et moi t'aimons déjà très fort. Tu es entré dans nos vies il y a déjà 5 mois. Il y a près d'un an, une grande sœur ou un grand frère avait déjà déposé son baluchon dans mon ventre. Mais la nature en avait décidé autrement, et à moins de trois mois, il a fallu le/la laisser partir.
Cette expérience ne fut pas simple. La terre s'était littéralement ouvert sous mes pieds. Nous ressentions déjà des papillons dans le ventre à l'idée de n'être plus simplement deux, mais de fonder ensemble une famille.

Après plusieurs soirées caliente, des dizaines de test de grossesse achetés frénétiquement, je découvrais fiévreusement et incrédule, que tu étais là, mon petit bébé. Une petite barre rouge sur une barrette blanche. Un grand sourire et des larmes de joie sur mon coeur.

Tout ne fut pas rose les premiers temps. Essayer de te préserver au maximum, et te soustraire au regard des passants, des collègues inquisiteurs. Heureusement, l'hiver avançait à grand pas, et j'ai pu t’emmitoufler sous des ponchos, écharpes et snood. A 5 mois, seuls les plus avisés auraient pu déceler ta présence. Il y avait bien quelques signes: nauséeuse du matin au soir, ou du soir au matin, j'affichais une mine inlassablement déconfite et crayeuse, qui cadrait mal avec mon sourire habituel et ma peau d'ébène. Continuellement fatiguée, je prétextais tour à tour "n'être pas du matin", "être barbouillée", "n'être pas sportive", "n'être pas branchée repas de Noël" pour me soustraire aux obligations de la vie sociale au travail. Ma démarche en pingouin était mise sur le compte des règles douloureuses, d'une descente de ski (sic) ou de ma nonchalance des îles.

Si sur le papier tout cela peut prêter à sourire, cela plaisait nettement moins à ton papa, qui me retrouvait tous les soirs à me tordre de douleurs, à devoir assurer toute l'organisation du quotidien. Il s'est plié en quatre pour nous deux. On ne l'a jamais fait courir la ville pour des fraises, mais il a du hypothéquer sur quelques grasses matinées pour des croissants ou des kiwis. On ne peut pas dire qu'on ait joué aux ogres toi et moi. Maman avait tellement envie de vomir, qu'elle en a d'abord perdu 3-4 kilos. Aujourd'hui à 5 mois, elle porte toujours ses 90 kilos de départ (dont quelques grammes d'amour te concernant). Cela n'a pas fait rire papa d'entendre maman en larmes quand elle perdait du sang. Cela n'a pas fait rire papa non plus de voir maman s’agripper aux murs le soir, pour se déplacer. Il en a d'autant moins ri quand il a su qu'en son absence nous devions parfois ramper au sol pour aller d'une pièce à l'autre de l'appartement.
Papa a vu rouge, quand en m'accompagnant à des rendez-vous médicaux, on se voyait répondre que ce n'était pas grave, " que" des douleurs ligamentaires, qu'il fallait boire un peu plus d'eau et que tout rentrerait dans l'ordre. Papa est très protecteur. Ton papa n'a pas apprécié se faire répondre par un généraliste, qu'"il ne fallait pas tout médicalisé et que c'était la nature, Monsieur". Papa n'a pas aimé qu'on ne reçoive pas d'aide tous les 3, et qu'on me laisse continuer à aller au travail en serrant les dents et en me tordant de douleurs. Papa et moi pressentions que quelque chose n'allait pas, mais notre inexpérience ne nous permettait pas d'exiger plus.

Et puis ce lundi, ton papa et ta maman ont compris. Nous avons pu te voir faire dans mon ventre des acrobaties dans le cabinet de l'échographe référent. C'était la 2e écho faite en une semaine, après que tu es fait preuve de beaucoup de caractères en te soustrayant aux ondes de la 1ere écho morpho. Tu t'es mis en posture commando. Mains devant le visage, et à plat ventre au fond de moi, pour qu'on ne puisse pas te mesurer, te soupeser comme un vulgaire objet. Tu as l'instinct de survie, je pense. Tu es "différent". Tu es déjà notre "1er" fils. Celui qu'on avait imaginé, intensément souhaité dans nos vies. Ton cœur bat régulièrement, tu suces ton pouce apparemment. Un visage pour nous sourire, des bras pour nous aggriper, des jambes pour...des jambes qui ne sont pas dans les courbes. " Fémurs courts et incurvés".

[...]

Nos cœurs respectifs se sont arrêtés de battre. Tu n'es pas dans la norme. Tu as une maladie osseuse extrêmement rare. La probabilité pour que de jeunes trentenaires tels que nous ayons un enfant atteint de cette maladie est de l'ordre de 3-4%. Tu es avec nous dans cette portion très rare. Tu es déjà exceptionnel. Médecin-échographe, gynécologue se montrent prudents. Ils nous confient à des spécialistes du CPDPN de Grenoble. On nous expliquera le protocole à suivre, échographie, scanner, amniocentèse, IMG....IM quoi? Notre famille est donc catapultée dans un univers de sigles, de diagnostics, et de pronostics. L'IMG, interruption médicale de grossesse est proposée dans le cadre de grossesse particulièrement difficiles lorsque les pathologies sont complexes. En furetant sur le net, j'avais déjà compris après la 1ere écho morpho que celles-ci pouvaient être " trismomie 21, trisomie 18, nanisme, maladie des os de verre". Aucun mot que les professionnels de santé ne veulent prononcer devant nous. Même s'ils ne nous cachent pas que le problème peut-être sévère.

Depuis quelques jours, maman est très triste. Tu as du sentir aux secousses qui parcourent mon ventre, que ça tangue beaucoup. Maman pleure. Maman a besoin de faire sortir la peine, la culpabilité, la tristesse qui débordent d'elle pour faire rentrer à nouveau un peu d'espoir, et encore beaucoup d'amour. Papa est là. Maman ne respire plus comme avant. Maman est en apnée, mais maman t'aime très fort. Maman ne sait pas combien de temps elle pourra te garder dans son ventre, mais elle va essayer de continuer à être une bonne maman. Peut-être que nos regards pourront se croiser dans cette vie, que ton handicap est "gérable" et compatible avec une vie qui ne soit pas pour toi qu'une vie de souffrance. Peut-être que ton âme ne m'a pas choisi pour rien, peut-être que tout ça a un sens. Ne jamais rien considérer comme acquis. Le bonheur n'est qu'un fil ténu.

Peu importe  ce qui se passera par la suite, moi, ta maman, je t'aime mon fils, du fond de mon cœur, et je t'aimerais toujours. Demain, c'est la St Valentin, c'est un peu ta fête, car tu es le fruit de notre amour, à ton père et moi.

Demain soir, je penserai très fort à ton étoile. J'espère qu'elle brillera encore longtemps.